Début mai 2021, malgré la météo maussade, un rayon de soleil a illuminé les éditions Entreligne, basées à Romanens (Gruyère). Pour fêter les cinq ans de cette petite maison, Isabelle Fagnière-Rime et Daphné Widmer signent et illustrent La Grande Parade, un conte musical mêlant texte, dessin et musique… Un projet 100% fribourgeois !

« Aujourd’hui Paul est malade. Un petit peu. Juste assez pour manquer l’école, pour rester au lit. Sa maman l’a frictionné, il sent le Vuicks et la tisane, et depuis un moment il regarde fixement les dessins du bois, au plafond. Une narine… un museau long… un crocodile ! » (p. 2-3)

Paul est un petit garçon qui déborde d’imagination ! Il est curieux… si curieux que, poussé par un bruit mystérieux, il part explorer le vieux grenier… et découvre, cachée sous un drap, « bleue, blanche, scintillante, la maquette du Grand Cirque aux personnages de deux centimètres de haut ! » (p. 6). Mais patatras ! Comme Alice dans le Pays des Merveilles, Paul se retrouve aspiré vers un monde qui n’est pas le sien : il tombe tête la première dans la maquette. Dans ce cirque rempli de couleurs, il se fait des amis de tout poil : Piaf et Moineau (deux singes espiègles), Jo l’éléphant, Zélie la girafe, Zorba l’étalon… et bien d’autres encore. Tous préparent une grande parade.

Hélas… c’est soudain la panique : le saxophone soprano a disparu de l’orchestre ! Dans ces conditions, impossible de jouer pour accompagner la parade ! La fête du cirque serait-elle donc compromise ? Ni une, ni deux, Paul et ses nouveaux amis mènent l’enquête…

« “On a volé le saxophone soprano ! celui qui chante la mélodie ! le maestro est dans une colère noire ! » (p. 13)

Un projet familial

La Grande Parade, c’est une histoire touchante et sautillante, qui met en avant l’amitié et l’entraide. Enseignante de français entre 1978 et 2015, c’est Isabelle Fragnière-Rime qui signe ce texte, pour lequel elle s’est inspirée d’une vraie maquette de cirque. Sur un joli papier glacé, les mots s’égrènent – tantôt sages et petits… tantôt énormes et colorés, selon le ton de l’intrigue. À cette dimension visuelle de la typographie s’ajoutent les dessins tendres de Daphné Widmer, la fille d’Isabelle. En noir et blanc, en couleurs, discrètes ou, au contraire, occupant de pleines pages, les illustrations font voyager l’imagination en se glissant entre les paragraphes du texte, pour mieux dynamiser le conte. Un régal ! La particularité de La Grande Parade est donc de réunir, dans le même ouvrage, une mère et sa fille, qu’anime le même amour des histoires. Elles n’en sont d’ailleurs pas à leur coup d’essai, puisqu’elles ont collaboré ensemble à d’autres projets à destination du jeune public : Le Chagrin de Césarine (Éditions Gruériennes, 2007) et Les Amis de Cerisier (Entreligne, 2018).

Quand le texte rejoint la musique

Mais ce qui retient surtout l’attention, c’est le mélange des arts à l’œuvre dans La Grande Parade : le texte et le dessin, oui… mais aussi la musique ! Le projet est né en 2017, de la rencontre entre Isabelle Fragnière-Rime et le saxophoniste baryton Simon Engel. L’idée ? Créer un spectacle pour les enfants, qui allie les mots, la musique et le théâtre. En novembre 2018, La Grande Parade est jouée pour la première fois sur les planches : c’est le Alsibana Saxophone Quartet qui assure la musique, tandis que le comédien Julien Pochon endosse le rôle de conteur… Il faut ensuite attendre le confinement du printemps 2020 pour que l’idée d’un livre fasse son chemin. Aujourd’hui, La Grande Parade s’adresse à la fois aux enfants et à leurs parents. C’est un livre qui, en plus de faire découvrir le monde du cirque, permet de se familiariser avec un univers musical entièrement tourné vers le saxophone. La version écrite de l’histoire se double ainsi d’un CD, qui reprend une version audio du spectacle à écouter en suivant le livre. Les musiciennes et musiciens de l’Alsibana Saxophone Quartet (Vincent Magnin, Selina Hanser, Barbara Aeschbacher et Simon Engel) deviennent des personnages à part entière, aussi réels que Paul, aussi tangibles que la voix chaleureuse de Julien Pochon. Parmi les musiques interprétées, on reconnaît par exemple des pièces d’Eduard Grieg et d’Igor Stravinsky…

Stravinsky, justement, parlons-en ! Car La Grande Parade n’est pas sans évoquer une certaine tradition de « mimodrame[1] », à l’instar de L’Histoire du soldat composée en 1917 par Stravinsky sur un texte de Charles-Ferdinand Ramuz. Elle rappelle également des contes musicaux pour enfants : par exemple, Pierre et le loup, composé par Sergueï Prokofiev en 1936, dont le héros est aussi un petit garçon qui n’a pas froid aux yeux. Avec sa farandole d’animaux de cirque, elle a aussi un petit quelque chose du Carnaval des animaux (1886) de Camille Saint-Saëns… surtout quand on se remémore les textes écrits par Francis Blanche ! Mais c’est principalement à l’œuvre conjointe de Jean Brussolle (scénario) et d’André Popp (musique) que l’on songe, par la place qu’elle donne à la famille des saxophones : Piccolo, Saxo et Compagnie ou la Petite Histoire d’un grand orchestre (1956).

Vous l’aurez compris, La Grande Parade est un livre musical et illustré à découvrir sans tarder ! Et qu’on se le dise : plusieurs représentations de la version spectacle sont prévues à Bulle en automne 2021 !

Magali Bossi

 

Références : Isabelle Fagnière-Rime, La Grande Parade, Romanens, Éditions Entreligne, 2021, 36p. Livre illustré, accompagné d’un CD audio.

Illustrations : Daphnée Widmer

Conteur : Julien Pochon

Musique : Alsibana Saxophone Quartet (Vincent Magnin (soprano), Selina Hanser (alto), Barbara Aeschbacher(ténor) et Simon Engel (baryton))

https://entreligne.ch

Infos spectacles : https://alsibana.ch/fr/la-grande-parade/

Photos : ©Magali Bossi

[1] Autrement dit, une musique destinée à être jouée sur scène et à accompagner un texte à vocation théâtrale.